Voici le moment de songer au Salon de Paris (dernier délai est le 20 mars 6h du soir).
M’envoyez-vous quelque chose ? Il faut compter que la petite vitesse est de au moins dix jours. Le temps de s’installer, de déballer, fait que je crois que vous devriez envoyer bientôt. Si vous voulez bien m’adresser vos peinturesScholderer envoie Selbstbildnis, B.150. Cazin, comme Fantin, insiste pour que Scholderer envoie des tableaux au Salon de Paris. Il lui écrit de Paris (40 rue du Luxembourg) le 8 janvier 1880 « […] L’année dernière, j’insistais pour vous voir envoyer au Salon de Paris ; je reviens encore aujourd’hui vous demander de le faire, m’y prenant bien à l’avance pour vous laisser le temps. Pourquoi ne pas être des nôtres encore ? Il y a place ici pour votre peinture qui sera appréciée de tous. […]. Un nouveau règlement réserve des salles spéciales pour les peintres étrangers qui ne seront plus ainsi soupçonnés de vouloir prendre notre place ; vous serez donc chez vous et nous chez nous. Je n’ai pas besoin d’ajouter combien vous feriez également plaisir à Fantin avec qui nous parlions de vous hier encore. Nous sommes lui et moi presque voisins ; envoyez chez moi ou envoyez chez lui reviendrait au même, vous auriez donc le choix, sans que la préférence donnée à l’un de nous ait la moindre importance […] », lettre inédite, Fonds Clément Tempelaere. (on peut en envoyer deux), je me ferai un plaisir de me charger de tout. Qu’allez-vous m’envoyer ? J’ai bien hâte de voir cela ! Vous me donnerez, nom - prénom, adresse, lieu de naissance, nom de vos maîtres et sujets pour écrire sur la feuille d’envoi.
Avancez-vous votre tableau pour l’Academy ?Scholderer, Preparing for a Fancy Ball, B.188. Comment va votre santé et celle de Madame ?
Vous avez dû être bien ennuyé de cet horrible hiver, il paraît que vous avez eu des brouillards pires que les nôtres, mais vous n’avez pas eu, je crois, des froids pareils. On avait jamais vu le thermomètre aussi bas à Paris, nous avons bien souffert.L’hiver 1879-1880 fut le plus froid du siècle. Vous avez dû lire tous les détails dans les journaux. Malgré tout cela, nous n’avons pas été malades, mais peu entrain de travailler. Il y a un an, j’avais commencé une esquisse de un mètre de haut depuis la lithographie que j’ai faite du finale du Rheingold que à l’époque où je vous l’envoyais vous me conseilliez de la peindre.
Je l’avais laissée de côté pour faire mon tableau du Salon dernier, puis je l’ai reprise, puis encore laissée et ces derniers temps je me suis décidé de l’achever pour le Salon.Au Salon de 1880, Fantin envoie le Finale du Rheingold, F.985, le Portrait de Mademoiselle L.R.(Louise Riesener), F.986, ainsi qu’un pastel, La Musique, F.987 et deux lithographies dont le célèbre bouquet de roses, H.26, seule lithographie de nature morte que Fantin ait réalisée. Pour m’entraîner, je la finis dans le cadre,Fantin borde sa toile d’une bande de dorure chimique qui lui permet d’harmoniser les couleurs du tableau avec l’or du cadre. Il réutilisera ce procédé dans plusieurs tableaux. procédé dont je n’ai pas l’habitude et je m’en trouve bien. Il me semble que cela va bien.
Demain, je vais commencer un portrait de la jeune fille blonde que j’ai fait l’année dernière dessinant et dans l’ombre.Louise Riesener, fille du peintre Léon Riesener, a déjà été peinte dans La leçon de dessin. Cette fois-ci, je la fais en pleine lumière, avec un joli chapeau noir.Fantin-Latour, Portrait de Louise Riesener, F.986. Ma femme fait pour le salon une nature morte qui s’annonce bien.Victoria Fantin-Latour, Nature morte exposée au Salon sous le n° 1253.
Vous verrez dans peu mon tableau du Salon dernier chez Madame Edwards.Fantin-Latour, Portraits ou la leçon de dessin dans l’atelier, F.920. Dites-moi ce que vous en pensez. Mme Edwards vous remettra un journal (Paris-Murcie)Le comité de la presse française fait paraître des numéros spéciaux au moment de catastrophes internationales. Paris-Murcie est publié en décembre 1879 au profit des victimes des inondations d’Espagne. où j’ai fait un dessin que l’on m’avait demandé. Ce journal au profit des inondés de Murcie a eu un grand succès (on a jamais su pourquoi tiré à 400000 exemplaires !)
Je crois que mon croquis a fait beaucoup parler.Le dessin que Fantin publie dans Paris-Murcie, F.974 reprend la composition du pastel La Musique, F.987 exposé au Salon de 1880 et figurant l’allégorie de la Musique inscrivant dans le marbre les noms de Schumann, Berlioz, Wagner et Brahms. Cela a dû enrager notre école de musique française. Les noms de Schumann, Berlioz, Wagner et Brahms leur font horreur ! Ces quatre noms m’ont paru aller bien ensemble et caractérisent une époque. Quel nom aurait-on pu ajouter aujourd’hui ?
Savez-vous si Thoma enverra quelques choses au Salon ici ?Thoma envoie Jupiter enfant soigné par les nymphes (76 x 104 cm, n° 3633) et Néréides (104 x 76 cm, n° 3634) au Salon de Paris de 1880.
Avez vous vu l’exposition des Maîtres Anciens à Burlington House cet hiver,Burlington House, à Piccadilly, est le nom du bâtiment qui abrite la Royal Academy depuis 1868. Depuis 1870, l’académie y organise chaque hiver une exposition de maîtres anciens et d’artistes anglais décédés. y avait-il de belles choses ?
Nous avons entendu La prise de Troie de Berlioz,La prise de Troie, actes I et II des Troyens. c’est très beau malheureusement très mal exécuté. Le lendemain, j’ai fait une lithographie d’une scène superbe dans laquelle l’ombre d’Hector apparaît à Énée couché la nuit, la scène éclairée par une lampe et Troie en flammes au fond.Fantin-Latour, La prise de Troie. Apparition d’Hector, H.30. Le récit d’Hector était de toute beauté, du reste, toute cette partition est magnifique !
Je relis votre lettre et je vois la citation que vous faites de Goethe.Dans la biographie de Fantin, Jullien fait référence à cette idée de Goethe qui préoccupe Fantin et rappelle les mots du poète : « Ce qu’on désire dans la jeunesse, on l’a dans la vieillesse en abondance », Adolphe Jullien, Fantin-Latour. Sa vie et ses amitiés. Lettres inédites et souvenirs personnels, Paris, Lucien Laveur, Librairie-Éditeur, 1909, p. 154. Je croyais que c’était « que on réaliserait dans la vieillesse les projets et les rêves de sa jeunesse. » Cela est-il autre chose que la vôtre, mais comme vous le dites, cela devrait bien se réaliser maintenant, quoique nous ne soyons pas encore dans la vieillesse.
Les couleurs a la Tempera ne sont pas grand-chose pour moi. Je suis comme vous. Je trouve tout ce qu’il me faut dans la peinture à l’huile. Tout me semble dans la manière de s’en servir.
Je vois plus souvent Cazin et sa femme, nous parlons de vous, il attend une lettre de vous, il demeure maintenant près de nous et je vois de très jolies choses de lui. Je n’ai pas encore vu son tableau pour le Salon prochain.Cazin expose deux tableaux au Salon de 1880 : Agar et Ismaël (1880, huile sur toile, 250 x 200 cm, Tours, musée des Beaux-Arts) et Tobie et l’ange (1880, huile sur toile, 184 x 142 cm, Lille, musée des Beaux-Arts).
Nous pensons déjà à aller à Londres cette année. Nous nous faisons une fête de vous y voir et de causer tout à notre aise. Ce serait vers la fin de juin.
Mais peut-être nous nous verrons avant à Paris, si vous venez voir notre Salon qui ouvre le premier mai et qui ferme le 20 juin.
Nous vous disons à tous les deux bien des choses ainsi que de la part de la famille Dubourg. H. Fantin