Lettre | 1880_01 |
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Date | 1880-01-16 |
Lieu de création | 8 Clarendon Road Putney |
Auteur | Scholderer, Otto |
Destinataire | Fantin-Latour, Henri |
Personnes mentionnées | Berlioz, Hector Goethe, Johann Wolfgang von Thoma, Hans Dubourg, Victoria Esch, Mlle Dubourg, Charlotte Dubourg, Hélène Dubourg, Jean-Theodore Edwards, Ruth |
Lieux mentionnés | Londres, Royal Academy of Arts Paris, Salon Londres, Continental Galleries |
Œuvres mentionnées | S Preparing for a Fancy Ball (Préparatifs pour le bal costumé) F Bouquet de roses F Roses thé et thé noisette F Chrysanthèmes jaunes F Raisins dans un panier S Selbstbildnis (autoportrait) S Man with Game (homme au gibier) |
Voilà un mois et plus depuis que j’ai reçu votre lettre dont je vous remercie bien, c’est toujours le plus grand plaisir pour nous d’avoir de vos nouvelles.
Comme le temps passe et si je vois à ce que j’ai fait pendant ce mois, c’est très peu de chose et je crains que vous me disiez : pourquoi n’avoir pas écrit plus tôt.
Mon tableau avance peu,Scholderer, Preparing for a Fancy Ball, B.188. c’est bien difficile d’avoir prêt tous les costumes, et les modèles vous désappointement tous. Une qui me dit qu’elle est engagée pour le mois prochain, l’autre a disparu et la troisième est malade. Cependant, je tâche de ne pas me mettre en colère, seulement ma santé quelquefois est très mauvaise, surtout dans le dernier temps j’ai beaucoup à faire avec ma digestion, le temps a été affreux, cependant il ne faut pas vous parler de cela, combien vous avez dû souffrir par le froid !
Mon tableau ne me paraît pas difficile à faire, c’est plutôt amusant, pas très sérieux, j’ai fait trois figures qui sont à peu près achevées, et j’en suis assez content si cela continue comme cela je ne pourrai pas m’en plaindre.
Mais j’aurais dû vous remercier d’abord de vos lithographies qui m’ont fait beaucoup de plaisir et ont enrichi ma collection de vos œuvres. Il faut que je dise que les fleurs,Fantin, Bouquet de roses, H. 26, seule lithographie de fleurs de Fantin d’après « Roses thé et thé noisette », F. 951. quoiqu’on voit qu’elles sont de vous, me paraissent bien pâles à côté de vos peintures, et il faut bien dire que le dessin gagne plus qu’on le regarde, mais un sujet si délicat de couleur est si difficile à rendre, je me demande si c’est possible de le rendre en noir. L’autre esquisse me plaît beaucoup, l’effet est charmant, le public se plaint de la chair de la femme qu’on ne trouve pas assez délicat ! ! Vos dernières fleurs et natures mortes et esquisses que j’ai vues chez M. Edwards sont admirables, j’en aime surtout la femme couchée avec le soleil couchant, c’est une des plus charmantes esquisses que vous avez faites. Les chrysanthèmes m’ont plu beaucoup,Peut-être Fantin-Latour, Chrysanthèmes jaunes, F.953. mais toutes sont belles, aussi le raisin avec le panier.Fantin-Latour, Raisins dans un panier, F.954.
Je suis curieux d’apprendre ce que vous allez faire pour le Salon et j’espère que vous ne commenciez pas trop tard, afin que votre santé n’en souffre pas comme l’année passée, pensez que nous devenons vieux maintenant et qu’il faut se soigner, pas faire des excès. Ce que vous dites à propos du temps qui se passe si vite, hélas, je ne le sens que trop ; où est le temps, quand on a toujours eu trop de temps. Mais moi aussi, quoique théoriseur comme vous me le reprochez, je vois bien aussi que ce n’est que la pratique continuelle qui vaut quelque chose, cependant il ne faut pas oublier que vivant seul ici, sans amis ou très peu, sans être entouré d’artistes avec le temps, il faut bien devenir plus doctrinaire que si on vivait à Paris, bien entendu que sans la pratique ce serait bien mauvais.
J’ai bien ri de ce que vous dites des modèles, c’est difficile d’en faire usage, moi je suis un peu habitué à les voir maintenant dans mon atelier, mais c’est une chose bien désagréable, on devrait toujours peindre ou sa famille ou des natures mortes. Vous n’avez pas d’idée quelles prétentions ils ont ici, et comme ils posent mal et se croient des martyrs.
J’ai l’intention sérieusement d’envoyer au Salon, mais je ne suis pas bien sûr si je peux faire des natures mortes, en tout cas, j’enverrai mon portrait que j’ai fait il y a trois ans.Scholderer, Selbstbildnis, B.150. Je relis votre lettre, vous étiez au concert des œuvres de Berlioz, je suis bien curieux ce que vous en dites, je me rappelle très bien la soirée quand nous étions au concert, mais j’ai beaucoup oublié la musique, mais l’impression générale m’est restée !
Combien de plaisir cela nous aurait fait de vous voir chez nous à notre soirée musicale, quand est-ce que nous vous verrons ici ? La vie se passe, et comme c’est triste de se voir et se parler si peu ! Mais on doit renoncer à bien des choses, Goethe dit : ce qu’on désire étant jeune, on l’aura en abondance quant on est vieux, peut-être faut-il devenir encore plus vieux ?Dans la biographie de Fantin, Jullien fait référence à cette idée de Goethe qui préoccupe Fantin et rappelle les mots du poète : « Ce qu’on désire dans la jeunesse, on l’a dans la vieillesse en abondance », Adolphe Jullien, Fantin-Latour. Sa vie et ses amitiés. Lettres inédites et souvenirs personnels, Paris, Lucien Laveur, Librairie-Éditeur, 1909, p. 154. Il me semble que le proverbe devrait bien se réaliser maintenant.
Thoma n’a été à Londres que pour deux jours, c’était un plaisir pour moi de le voir et nous étions si bien d’accord en matière d’art. C’est un homme fort remarquable et un talent comme il y en a très peu ; c’est dommage qu’il travaille si vite et ne prend pas le temps d’achever plus ses choses, alors il serait grand. Il m’a écrit dernièrement, il se sert beaucoup des couleurs de tempera et je crois que c’est ce qu’il lui faut, il est plus délicat en se servant de cette exécution, quelques fois il achève avec la couleur à l’huile ; il me dit de l’essayer aussi, je veux le faire, mais je doute bien que cela soit quelque chose pour moi.
L’exposition de Edwards n’était ni un succès, ni le contraire, je crois après avoir payé les frais elle lui reste à peu près £ 200 à 300.Voir Exhibition of Paintings, Water-colour Drawings, and Etchings, by the Late Edwin Edwards, cat.exp. Londres, Continental Galleries, 1879 ( ?). Je doute bien que cela ait eu du succès parmi les artistes, ils ne sont pas assez élevés pour comprendre ce qu’il a fait. J’ai oublié de vous dire que mon tableau est à peu près deux mètres de largeur, les figures sont trois quarts de nature. J’ai commencé un autre, un jeune homme qui porte du gibier à un bâton sur le dos, je voudrais bien pouvoir le faire pour le Salon.Scholderer, Man with Game, B.189.
Ma femme prie Mlle Esch de vouloir avoir de la patience, elle la remercie pour sa lettre. Elle a tant à travailler dans la maison et pour moi – des costumes pour les modèles que cela lui prend tout son temps.
Je vous dis adieu, ne vous vengez pas et donnez nous bientôt des nouvelles de vous et de votre santé, aussi de Mlle Esch. Nous vous envoyons tous nos meilleurs compliments, aussi à Monsieur et Madame Dubourg et Mlle Charlotte.