Perspectivia
Lettre1878_02
Date1878-02
Lieu de création[Paris]
AuteurFantin-Latour, Henri
DestinataireScholderer, Otto
Personnes mentionnéesEdwards, Ruth
Thoma, Hans
Legros, Alphonse
Whistler, James Abbott MacNeill
Lascoux, Antoine
Edwards, Edwin
Maître, Edmond
Manet, Edouard
Eiser, Otto
Dubourg, Charlotte
Dubourg, Victoria
Dubourg, Jean-Theodore
Dubourg, Hélène
Esch, Mlle
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Lieux mentionnésLondres, Royal Academy of Arts
Londres
Paris
Paris, Exposition Universelle, 1878
Paris, Salon
Œuvres mentionnéesS Young Girl in a Fancy Costume (jeune femme costumée)
F La famille Dubourg
F La lecture

[Paris.]

[Février 1878]

Mon cher Scholderer

Je croyais bien vous voir ici à votre retour de Francfort. Nous nous faisions une fête de vous recevoir. J’ai été très désappointé quand madame Edwards m’a écrit que vous étiez rentré à Londres. Cela nous a fait grand plaisir de savoir votre santé bonne et de vous voir si bien en train. Votre idée pour l’Académy de faire un portrait fantaisieScholderer, Young Girl in a Fancy Costume, B.160. me semble bien heureuse, car il me semble que le portrait fait sur commande n’est jamais aussi bien. Votre tableau acheté par un académicien est une bonne chose et je vous en félicite, cela est bien utile quand les ennemis vous achètent. Cela vaut encore mieux que quand ce sont des amis !

Je partage tout à fait vos idées conservatives. Ces vieux maîtres, auxquels l’on revient toujours avec plus de plaisir, sont encore les plus jeunes et les [plus] avancés dans le progrès. Quand on voit les gens d’aujourd’hui surtout, ils me paraissent des fous absolument. J’aimerais bien voir vos dernières natures mortes. J’ai été content de savoir votre famille de Francfort en bonne santé, j’ai été très sensible à leurs bons souvenirs. J’ai été bien aise d’apprendre que cela intéresserait à Francfort mes essais wagnériens. J’aimerais bien donner ces lithographies ! Cela me ferait grand plaisir. Voulez-vous me donner l’adresse du fanatique wagnerien,Dr. Otto Eiser. j’ai vu avec plaisir qu’il n’y avait pas que moi que ces sujets enchantent. Je serais bien curieux de voir ce que Thoma en a fait. Ce que vous me dites de Legros, de ses eaux- fortes est très juste. J’ai vu ici des paysans arrachant un arbre qui m’a paru très remarquable.

Qu’est-ce que c’est que la folie de Whistler ? …. Je n’en sais rien ! Le voilà sur le théâtre lui aussi. A Paris on voit comme cela les Impressionnistes. Ils sont le sujet d’une pièce qui a eu un grand succès.Voir lettre 1877_08. Quelle drôle d’époque ! Où cela nous mène ! Je n’y comprends rien. Je ne suis pas si content que vous de notre gouvernement.Jules Dufaure (1798-1881), leader d’un parti de centre-gauche, est nommé président du Conseil en décembre 1877. Je ne crois guère à tout cela. En France on ne peut pas espérer rien de sérieux à présent.

La mort de CourbetCourbet est décédé le 31 décembre 1877. a été peu de chose pour l’art, car comme vous le dites, il y avait longtemps qu’il ne faisait plus rien, mais vous n’avez pas l’idée comme il a été peu loué par toute la presse, on a oublié toutes les belles choses qu’il a faites et qu’il a été un des initiateurs de la peinture aujourd’hui. Il a été un grand peintre et il n’y en a pas beaucoup en ces temps-ci ; Mr Lascoux m’a chargé de vous remercier de votre peine et a paru très surpris de ne vous rien devoir. Je suis bien étonné que les Edwards ne l’aient pas remercié par une lettre ! Maître me charge de vous dire bien des choses.

J’ai vu Manet dernièrement qui m’a parlé de l’exposition qu’il va faire. A lui tout seul il va montrer 100 tableaux dans un local qu’il fait construire au bout de l’avenue Montaigne, en face le pont de l’Alma.N’ayant eu aucune voix au jury de l’Exposition universelle de 1878, Manet souhaite refaire une exposition personnelle comme en 1867 où il avait exposé cinquante toiles dans un baraquement en face du pont de l’Alma. Son projet d’exposition de cent tableaux n’aboutit pas en raison de difficultés financières et de soucis de santé. Il y aura là les bonnes choses que vous connaissez et des tableaux nouveaux bien singuliers et pas trop bien il me semble. Cela va être curieux en même temps que l’exposition Universelle que vous viendrez voir me dites-vous, j’en suis bien content.

Nous n’avons pas de projets pour l’été, au moins de certains. Vous savez combien Madame E. m’engage à aller à Londres faire des portraits, mais j’ai beau lui dire ce que je pense, elle persiste malgré tout. Que me conseillez-vous, vous qui êtes là-bas ? Comme vous me le dites, nous sommes trop heureux à Paris pour changer de place. Je redoute aussi d’aller vivre chez eux. Et il me semble impossible d’aller ailleurs. Les gains de grosses sommes n’ont pas pour moi grand attrait, il faut toujours en rabattre d’abord. Je ne m’explique pas non plus quel intérêt elle peut avoir à me faire faire des portraits. Peut-être croit-elle par ce moyen vendre davantage des fleurs, ceci serait une considération, peut-être serait-il utile pour moi de voir un peu comment est ma position là-bas ! Nous avons encore le temps d’y réfléchir. Je n’aime guère faire des projets. J’aimerais bien mieux projeter avec vous un voyage en Allemagne ou à la campagne. D’abord, j’ai le Salon à faire. Je vais me mettre vivement à des portraits. Je compte faire un tableau de famille.Fantin-Latour, La famille Dubourg, F.867. Ce tableau représente les beaux-parents de Fantin, M. et Mme Dubourg, sa belle-sœur, Charlotte Dubourg, et sa femme Victoria. Mr et Mme Dubourg, Mlle Charlotte, ma femme, moi, les uns à côté des autres, et jusqu’aux genoux, assez grande toile comme vous voyez. Vous allez voir à Londres mon tableau du Salon dernierFantin-Latour, La lecture, F.824. Ce tableau, exposé à la Royal Academy, trouve un acheteur en Angleterre, ce qui encourage Fantin à envoyer régulièrement ses tableaux à la Royal Academy de Londres. que j’envoie pour l’Academy. Qu’en pensez-vous ! Nous sommes très contents que Mademoiselle Esch vienne à Paris. Nous souhaitons qu’elle trouve ici une bonne position ! Dites-lui bien des choses de notre part quand vous la verrez. Espérons que nous allons encore une fois nous retrouver tous ensemble ici. Ma femme me charge de vous dire bien des choses et de dire à Madame qu’elle se soigne bien, afin qu’elle ait la force de bien s’amuser à Paris. Écrivez-nous bientôt, cela nous fera le plus grand plaisir.

H. Fantin