J’ai appris avec plaisir que vous alliez mieux, nous avons pris part tous les deux au chagrin de Madame.Mme Scholderer vient de perdre sa sœur aînée après avoir perdu récemment un de ses frères. Nous désirons bien vivement que sa santé n’ait pas été trop atteinte par toutes ces secousses. Nous regrettons bien que vous n’ayez pu venir cette année à Paris, espérons que l’année prochaine sera meilleure, quoique l’avenir paraisse bien noir.
Nous allons, Dieu merci assez bien. Nous avons fait un très joli voyage. Nous avons été à Gand,Fantin-Latour, Portrait de Madame Fantin-Latour, F.825 était exposé à la XXXe exposition triennale de Gand. Bruges, Ostende, Anvers et Bruxelles. L’argent a manqué pour la Hollande et l’Allemagne. Quelle belle plage qu’Ostende, la connaissez-vous, nous sommes arrivés à Anvers après le centenaire de Rubens, nous avons pu voir encore bien de belles choses, la collection de son œuvre gravée est étourdissante !A l’occasion du tricentenaire de la naissance de Rubens, Anvers présente une grande exposition Rubens ; elle est accompagnée de la publication de deux ouvrages, Exposition de tableaux et d'objets d'art anciens : ouverte, à l'occasion du 3e centenaire de Pierre-Paul Rubens sous le patronage de la Ville d'Anvers dans les Salons d'exposition..., Anvers, 1877 et L’œuvre de P.P. Rubens. Catalogue de l'Exposition organisée sous les auspices de l'Administration communale d'Anvers par l'Académie d'Archéologie de Belgique. Gravures, photographies, dessins, documents, etc., Anvers, 1877. Voir également la lettre de Fantin 1877_02 et la lettre de Scholderer 1877_03. Nous avons revu tous ces musées et églises que Rubens a remplis. C’est toujours de plus en plus admirable ! …
Il est tour à tour, puissant, fort, naïf, délicat, un vrai grand génie !
En rentrant j’ai beaucoup travaillé. Je viens d’envoyer à Edwards bien des choses ; si vous les voyez, je vous prie de m’en dire votre avis, vous verrez mon tableau que j’ai fait pour le Dudley. Il me semble mieux que beaucoup d’autres choses. J’ai une petite tentation de St AntoineIl est ici question de la Tentation de saint Antoine, F.837 – Fantin s’intéresse très tôt (vers 1860) à ce sujet et le traite de nombreuses fois, particulièrement dans ses dernières années. On connaît un dessin de 1868 (F.2438) qui montre une tentatrice offrant une coupe de champagne. Fantin a réalisé plusieurs huiles sur ce thème, en 1881 (F.1195), en 1891 (F.1434), en 1897 (F.1653) et en 1902 (F.1901). Il réalise également une lithographie en 1894 (H.110). réussie je crois. Qu’en pensez-vous ? Vous aurez à réclamer à Madame E. une lithographie du Rheingold pour vous. Quant à nos affaires avec Madame E., je ne sais que dire. J’ai peu envoyé de peinture cette année et toujours dans des prix de plus en plus modérés. J’ai été très sensible à vos souhaits et à vos espérances de vendre un jour mes peintures. Je voudrais bien pouvoir en dire autant pour les vôtres. Ici quoique vous en disiez, ce sont des sots et vous penseriez comme cela si vous étiez ici. La peinture va de plus mal en plus mal. Vous avez bien raison dans ce temps-ci, nous n’avons qu’à travailler, c’est la seule consolation !
Mademoiselle Fabre nous a parlé de vos projets de cours de dessin et peinture. Cela me paraît une très bonne idée puisque cela ne doit pas vous prendre tout votre temps. Que faites-vous maintenant ?
C’est, je crois, la seule chose sur laquelle je suis d’accord avec Legros quand il dit, que ce sont des gredins les Impressionnistes !
Qu’entendez-vous dire de Whistler ? Avez-vous vous vu l’exposition Coutts-Lindsay.En 1877, Sir Coutts Lindsay, riche banquier britannique, crée la Grosvenor Gallery (135 New Bond Street) pour défendre les artistes controversés et refusés aux expositions de la Royal Academy. En avril 1877, pour l’ouverture de la galerie, Whistler expose à côté des peintres Millais, Alma Tadema, Burne-Jones, Leighton et Poynter. Il montre ses nocturnes, quelques portraits et La fusée qui retombe qui provoque la polémique avec Ruskin.
Qu’est-ce que cela était. Le tableau de Delacroix dont vous me parlez est un souvenir de jeunesse pour moi.Vraisemblablement Delacroix, Pirates africains enlevant une jeune fille, J.1 n° 308, 1852, huile sur toile, 65 x 81 cm, Paris, musée du Louvre, voir lettre 1877_07. Je vois encore ce tableau à un Salon à Paris, cela me fit un grand effet. Nous ne voyons pas grand-chose ici en fait de peinture. Je ne vois plus Manet, ni Degas, ni personne.
Degas, dit-on, est toujours se plaignant de ses yeux, sa perte de fortune est déjà bien ancienne.
Manet, paraît-il, s’occupe d’élections.Manet est un républicain convaincu. Mac-Mahon dissout la Chambre le 25 juin 1877. Tout l’été 1877, la campagne électorale passionne les Français. Les scrutins des 14 et 15 octobre 1877 donnent la majorité aux républicains et début 1878 Mac-Mahon forme un gouvernement de centre-gauche. Les Malins s’occupent fort des Impressionnistes. On en rit au théâtre où on montre leurs tableaux !Degas aide les librettistes Meilhac et Halévy à composer une pièce comique, La cigale, parodie de la peinture impressionniste. La première de la pièce est jouée le 6 octobre 1877 au théâtre des Variétés. Degas a fourni aux auteurs des anecdotes et des propos stupides du public qu’il a entendus lors de la seconde exposition impressionniste. J’ai vu dernièrement Lhermitte, Cazin est à Boulogne depuis le Salon.
Vous savez que votre peinture sera bien reçue chez nous, que cela aura la plus belle place et que la compagnie est bonne (Millet, Corot etc…). J’espère que cela sera bientôt ?
Je n’ai guère autre chose à vous dire d’intéressant, allez-vous envoyer quelques tableaux au Dudley.
Dites à madame que nous suivons ses conseils, que nous nous promenons tous les jours après le travail, encore aujourd’hui nous sommes partis à 4 h et rentrés à 6 h. De la maison, nous sommes allés par les quais jusqu’à la place de la Concorde, puis au marché aux fleurs à la Madeleine, suivi les boulevards jusqu’à la rue Vivienne et rentrés par le Palais Royal. Est-ce assez madame ? Nous avons fait vos compliments à la famille Dubourg qui vous fait les siens ainsi que nous deux. Adieu. H. Fantin