Perspectivia
Lettre1877_03
Date1877-04-04
Lieu de création8 Clarendon Road Putney
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesCazin, Jean-Charles
Dubourg, Victoria
Sickert, Oswald Adalbert
Edwards, Edwin
Edwards, Ruth
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Deschamps, Charles W.
Degas, Edgar
Lieux mentionnésLondres, Royal Academy of Arts
Paris, Salon
Œuvres mentionnéesF Duo des Troyens
F Scène première du Rheingold
F Scène première du Rheingold (L'or du Rhin)
F Tannhäuser. Venusberg (2e planche)
F Portrait de Madame Fantin-Latour
F La lecture
S Mrs Tom Plews
S Dr. George Bird
S Oswald Sickert
S Hof eines Bauernhauses in Kronberg (cours d'une maison paysanne à Kronberg)

8 Clarendon Road Putney Surrey

4 avril [18]77

Mon cher Fantin,

Voilà encore une fois que bien des semaines sont passées depuis que j’ai reçu votre bonne lettre, et vous trouvez sans doute que c’est bien tard si je ne vous remercie qu’aujourd’hui pour les lithographies qui m’ont fait tant de plaisir et que j’aime beaucoup. Je trouve la scène des Trojens si bien rendant l’effet de la scène qu’on éprouve au théâtre, surtout aussi le fond est si bien réussi.Fantin-Latour, Duo des Troyens, H.10. Le RheingoldFantin-Latour, Scène première du Rheingold, H.8. En 1888, Fantin reprendra ce motif et cette composition pour une huile sur toile : Scène première du Rheingold (L’or du Rhin), F.1327. vous a inspiré, il me semble le plus à en faire une chose neuve, ce serait bien beau à peindre, je trouve. Je trouve ces dernières lithographies extrêmement réussies, aussi comme exécution, comme matériel et vous en tirez le meilleur parti, cela m’a même donné le désir d’essayer aussi une, seulement j’ai tant peur de voir mes dessins à l’envers où je reconnais si bien mes défauts. La seconde exécution de la scène du TannhaüserFantin-Latour, Tannhäuser. Venusberg (2e planche), H.9. m’a bien plu aussi et cela rend si bien le sujet.

Vous avez dû travailler à vos tableaux du Salon, Cazin me parle d’un tableau de Madame très remarquable, comme il dit, et je n’ai aucun doute que cela soit comme cela.Fantin-Latour, Portrait de Madame Fantin-Latour, F.825. Est-ce que vous avez exécuté l’autre dont vous me parliez dans votre lettre, celui de votre belle-sœur et son amie ?Fantin-Latour, La lecture, F.824. J’espère que vous m’en écrirez plus long et de tout ce que vous avez fait depuis. J’ai été occupé jusque hier avec mes portraits pour l’académie, pensez, j’y ai envoyé cinq,En 1877, la Royal Academy accepte trois portraits sur les cinq œuvres envoyées par Scholderer : Mrs Tom Plews, B.157a, le portrait d’Oswald Sickert, B.158, ainsi que le portrait du Dr. George Bird, B.156. et je suis préparé à entendre qu’on m’en refuse trois ou quatre. Mais c’est drôle que tout le monde veut voir ici son portrait à l’Académie et la plupart, en vous donnant la commande, fait la condition que le tableau soit envoyé. C’est bien anglais, mais c’est encore plus embêtant pour l’artiste, car je n’ai point l’ambition de me voir représenté 5 fois à la Royal Académie.

J’ai travaillé beaucoup et je suis si fatigué que je dois me reposer quelques jours, vous savez, je ne suis pas si fort que vous. J’ai commencé aussi à faire des eaux-fortes, des reproductions de mes portraits, je trouve cela très amusant et c’est un souvenir du temps quand vous avez fait le tableau, quand j’aurai fait quelque chose de bien, je vous l’enverrai. Vous me demandez ce que je veux faire avec la peinture sur porcelaine, je croyais que je pouvais gagner un peu d’argent avec cela, mais je crois que cela ne vaut pas la peine, en même temps, je n’ai pas la pratique d’en faire et le material me paraît compliqué.

J’espère à avoir un peu de succès matériel avec mes portraits, l’argent qu’on y gagne est gagné bien dur, vous le savez. Au moins j’ai eu la chance à satisfaire les gens dont j’ai fait le portrait et je crois quelques des derniers ne sont pas mal réussis, toujours je suis si loin d’en être satisfait.

J’ai entendu avec plaisir des Edwards que les affaires avec vos tableaux commencent à aller un peu mieux, j’en suis bien content. On me dit que ce sera mieux encore en quelque temps. Espérons-le, car c’était bien mauvais tout le dernier temps. En Allemagne les artistes se meurtent presque de faim et jamais en Angleterre les affaires ont été pires. Mais tout cela passera, cela fait peut-être du bien aux bons artistes.

Comme ce serait beau si nous pouvions aller en Allemagne avec vous, mais je ne veux pas faire des projets trop tôt, j’ai tant peur qu’ils ne se réalisent, aussi il nous faut de l’argent qui est encore très rare chez nous. Et nous serons pas libres avant le commencement du mois d’août. Nous désirons encore plus d’aller vous voir à Paris ce mois, c’est si beau au mois d’avril, mais ce n’est qu’un souhait de notre part. Ma femme me charge de faire des excuses à Madame Fantin de ne pas lui avoir écrit, c’et bien difficile pour moi et je ne sais pas comment je dois les faire, quelles raisons je dois donner ; mais dans le dernier temps elle est si préoccupée d’une maladie d’une de ses frères qu’elle aime beaucoup et qui, comme nous craignons, doit mourir, que c’est sa seule pensée, le malheur ne finit pas à se séparer de notre famille. Mais c’est la vie ! Écrivez-nous un peu de votre ménage, cela nous intéresse tant, n’est-ce pas doux d’être sous le pantoufle,L’expression allemande « unter dem Pantoffel stehen » signifie « être mené par le bout du nez par sa femme ». comme nous le disons en Allemagne, je trouve qu’il n’y a rien de plus agréable. Comme nous serons heureux de vous voir tous les deux, chez nous. Faites-vous de la musique, avez-vous un piano ? Sans doute, nous espérons d’en avoir un quand vous viendrons, madame Fantin doit bien faire des exercices, moi je veux tâcher d’en faire aussi pour que nous puissions jouer des sonates ensemble.

Vous garderez mon tableau de la maison de campagne,Scholderer, Hof eines Bauernhauses in Kronberg, B.21. je ne veux pas que vous me le rendiez, mais je vous donnerai encore autre chose et j’espère de faire bientôt un chef-d’œuvre pour vous.

Je voudrais bien voir la réunion des tableaux de Rubens,A l’occasion du troisième centenaire de la naissance de Rubens, Anvers présente une grande exposition Rubens ; elle est accompagnée de la publication de deux ouvrages, Exposition de tableaux et d'objets d'art anciens : ouverte, à l'occasion du 3e centenaire de Pierre-Paul Rubens sous le patronage de la Ville d'Anvers dans les Salons d'exposition..., Anvers, 1877 et L’œuvre de P.P. Rubens. Catalogue de l'Exposition organisée sous les auspices de l'Administration communale d'Anvers par l'Académie d'Archéologie de Belgique. Gravures, photographies, dessins, documents, etc., Anvers, 1877. cela doit être magnifique ; est-ce que vous avez toujours le projet d’y aller ?

Je n’ai rien appris des détails de l’affaire de Deschamps, je ne l’ai même pas vu depuis trois mois.Deschamps est accusé de « nonchalance » dans le milieu artistique. Après avoir perdu la direction de la galerie Durand-Ruel à Londres (fermée fin 1875) il continue ses affaires pour son compte et représente notamment Degas sur le marché anglais.

Nous sommes bien avec les Edwards qui sont tous les deux bien complaisants pour nous et je commence à leur trouver plus de qualités qu’autrefois. Il est devenu bien plus raisonnable et je crois qu’ils ont tous les deux beaucoup de bienveillance pour nous. Il envoie un grand tableau à l’Académie, j’espère qu’il soit accepté, cela le rend furieux et malade quand il est refusé. Adieu, mon cher Fantin, bien des choses de nous deux à vous et à Madame, j’espère qu’elle va bien. Écrivez-moi je vous prie de ce que vous faites. Votre ami

OScholderer