J’ai bien pensé à vous ces derniers jours, car Edwards m’a dit que votre père est très malade que vous le soignez depuis quelque temps. Cela m’a fait bien de la peine, je souhaite qu’il aille mieux, mais Edwards ne m’a pas dit de quelle maladie il souffre, et il est à l’âge où les maladies sont plus graves. Je désire bien d’avoir un mot de vous et de savoir si votre père va mieux. J’espère aussi que vous ne vous fatiguiez pas trop à le soigner et que vous pensez aussi à votre santé qui lui est en ce moment doublement nécessaire. C’est bien triste de voir souffrir une personne qu’on aime.
Je suis toujours en retard pour la réponse de vos bonnes lettres et c’est vraiment drôle, plus qu’elles m’ont fait plaisir, plus de temps je mets à la réponse. Je ne vous ai pas non plus remercié encore de vos deux lithographies que Edwards m’a données et qui m’ont fait grand plaisir, elles sont bien fraîches et belles de tons, et surtout la femme au tombeau est très riche et variée de ton, surtout elles n’ont rien de cette sécheresse que ce procédé a très souvent.Fantin-Latour, A la mémoire de Robert Schumann, H.5 et La fée des Alpes, H.6.
J’ai vu deux de vos natures mortesFantin-Latour expose à la Eigth exhibition de la Society of French Artists : Fleurs (Touffe de rhododendrons sur fond clair, F.710) ; Nature morte (Pieds-d’alouette dans un vase. Roses trémières et glaïeuls sur la table, F.327). chez Deschamps, l’une est celle que vous avez fait pendant que j’étais à Paris, elle est très belle et aussi l’autre les Rhodondendrons.
Je me rappelle encore bien quand Manet a vu les pieds-d’alouette qu’il a dit : il faut vendre cela cher ! Cela nous a beaucoup amusés, mais enfin il a eu raison, n’est-ce pas ? Deschamps l’a vendu le jour de l’ouverture de l’Exposition.
Votre lettre m’est venue encore à Greek-Street que j’ai quittée heureusement depuis deux mois, nous sommes tous les deux tout à fait contents d’être plus éloignés de la ville, et d’avoir quitté un quartier affreux de Londres, ma santé en a grandement profité et aussi celle de ma femme. Nous sommes un peu loin de Londres maintenant, mais on ne peut pas avoir tout à la fois, notre maison ici est charmante et je me réjouis chaque jour de notre séjour ici ; nous sommes près de la Tamise qui est magnifique à Putney de sorte que les environs. J’ai plus travaillé déjà ici en deux mois, quoique j’eusse souvent à faire à Londres, que toute l’année passée et la peinture va bien ici, on m’a construit un atelier très clair, lumière d’en haut et de côté qui m’entraîne beaucoup à travailler. J’ai fait deux petites natures mortes qui sont bien réussies, des huîtres avec un homard,Scholderer, Austern mit Hummer, B.127. je crois c’est ce que j’ai fait de mieux, aussi je travaille avec facilité et je crois que le temps qui viendra pour moi me laissera un peu goûter les fruits des recherches et efforts de bien des années.
Je reviens toujours à la nature morte, quoique de temps [en temps] je fais autre chose. J’ai 4 tableaux chez Deschamps l’homme avec le chevreuil, le moulin de la forêt noire, une petite esquisse d’après ma femme, le jambon que j’ai fait comme étude pour le tableau de l’homme qui mange de la soupe dont vous vous rappelez.Scholderer, Jäger und Hirsch, B.48 ; Schwarzwaldmühle in Kirnbach bei Schiltach, B.79 ; Stilleben mit Schinken, B.128 ; étude préparatoire pour Mittagsmahl, B.129. La petite esquisse d’après la femme de Scholderer n’est pas précisément identifiable, Bagdahn ne fait que la mentionner et ne la classe pas dans le catalogue raisonné. Voir Jutta Bagdahn, Otto Franz Scholderer 1834-1902. Monographie und Werkverzeichnis, thèse de doctorat inédite, Fribourg-en-Brisgau, 2002, p. 61 ; Jutta Bagdahn, « Otto Scholderer – Daten zu Leben und Werk », dans Scholderer, cat. exp. 2002, p. 61-80, p. 67. D’après le catalogue de la Eighth Exhibition of the Society of French Artists, Scholderer y aurait également exposé au numéro 82 : Austern mit Hummer, B.127. J’ai envoyé 3 tabl. à la Royal Academy, portr. de ma femme, un cygne avec un garçon et le grand tableau des légumes, je ne sais pas encore si un de ces tableaux sera accepté, et le saurai un de ces jours, mais je ne aucune espérance.Les trois œuvres que Scholderer propose à la Royal Academy ne sont pas précisément identifiables, Jutta Bagdahn ne fait que les mentionner et ne les classe pas dans son catalogue raisonné. Voir Jutta Bagdahn, Otto Franz Scholderer 1834-1902. Monographie und Werkverzeichnis, thèse de doctorat inédite, Fribourg-en-Brisgau, 2002, p. 61 ; Jutta Bagdahn, « Otto Scholderer – Daten zu Leben und Werk », dans Scholderer, cat. exp. 2002, p. 61-80, p. 67.
Je viens de faire une autre petite nature morte deux pigeons,Jutta Bagdahn identifie cette nature morte avec Stilleben von toter Feldtaube und Wildente, B.125. je voudrais bien vous montrer ce que je fais maintenant et savoir votre opinion, comme c’est longtemps que nous ne nous sommes vus ; c’est bien triste que nous sommes toujours destinés à vivre l’un si loin de l’autre. J’aurais toujours bien envie de vivre à Paris, mais cela ne se réalisera pas encore ; j’ai loué notre maison pour 7 ans, donc je ne pourrai pas m’éloigner pour longtemps de l’Angleterre, je voudrais au moins passer chaque année quelques mois à Paris.
Je ne sais pas ce que vous avez exposé au Salon,En 1874, Fantin a exposé au Salon Fleurs et objets divers, F.706. ou plutôt si vous avez exposé car Edwards m’a dit que la maladie de votre père vous a beaucoup empêché à travailler : avez-vous fait le portrait de la jeune filleVraisemblablement Portrait de jeune fille, F.2213. Voir lettre 1874_ 2. dont vous m’avez parlé dans votre dernière lettre ? Je suis parfaitement de votre avis en ce que vous dites de la disposition de vos tableaux, et comme j’ai aussi dit, je reviens toujours à faire quelque chose au hasard de la nature. Je connais très bien maintenant ce que font Pizzaro, Monet, Ciseley ; il n’y a pas un d’eux qui ait atteint Manet, je suis de votre opinion ; j’aime surtout Pissaro, il a quelques petites toiles très fines et très fraîches ici, mais ils manquent tous les trois ce que Manet a ; c’est l’amour de Manet pour son sujet et, comme vous dites, surtout son naturel.
Il y a chez Deschamps, le tableau de Millet, la mère qui raccommode une espèce de vêtement en peau de mouton, l’enfant dort derrière la lampe qui est attachée à une espèce de machine en bois dont se servent les paysans, connaissez-vous le tableau.Au printemps 1874, Millet expose à la Eigth exhibition de la Society of French Artists, chez Durand-Ruel à Londres, La jeune mère (non identifiée). Cela m’a fait une grande impression, plus qu’on le regarde, plus cela devient grand et simple, et la peinture en est si belle ! La lampe et le fond surtout sont merveilleux.
Je viens de recevoir la nouvelle du refus de mes tableaux à la Royal Academy, je me suis attendu à cela. C’est la troisième fois, il faut avoir bien de la patience en Angleterre ! Cependant je ne dois pas m’en plaindre.
Nous ne voyons presque personne chez nous, Cazin vient quelquefois et sa femme. Il a de l’esprit, seulement je trouve qu’il veut trop juger et savoir tout, il n’a pas mal de vanité mais j’aime beaucoup à causer avec lui, aussi à avoir quelquefois ses conseils. Il demeure très près de nous. Je vois rarement Edwards, depuis que j’ai quitté la ville, il est souvent malade et je crois que l’air de Londres ne lui va pas du tout. Je n’ai plus vu Whistler, je vois de temps en temps Legros qui est toujours très aimable, mais je me méfie de lui.
Je n’ai aucun espoir de pouvoir venir à Paris, et je dois être bien content si je peux vivre ici sans trop de soucis pour la vie, ce sera j’espère l’année prochaine ; mais j’espère toujours de vous voir ici un jour, mais ce ne sera pas non plus prochainement, je crains !
Je vous dis, adieu, mon cher Fantin, j’espère bien d’avoir de meilleures nouvelles de votre père dans votre prochaine lettre, et je vous prie de ne pas me la laisser attendre trop longtemps, si ce ne seraient que quelques lignes. Mes compliments à ceux qui se rappellent de moi, bien des choses à Mademoiselle Dubourg, je suis bien fâché de ne pas pouvoir satisfaire son désir de lui parler de Francfort, je craindrais cependant de ne pas pouvoir lui raconter assez, il y a si longtemps que j’ai quitté Francfort que je ne connais presque plus les personnes. Elle saura sans doute que notre bon professeur BeckerJacob Becker von Worms (1810-1872), peintre allemand, professeur de peinture de genre et de paysage au Städelschen Kunstinstitut. Portraitiste en vue à Francfort, Scholderer suit son enseignement dans le cadre de ses études artistiques de 1849 à 1857. est mort et que l’Institut Staedel va bâtir une maison à Sachsenhausen où la galerie sera emportée.Pour pallier le manque de place dont souffre le Städelsche Kunstinstitut, l’architecte Oskar Sommer se voit confier en 1874 la construction d’un nouveau bâtiment situé sur une parcelle du Schaumainkai, artère piétonne du quartier de Sachsenhausen sur la rive gauche du Main. Il conçoit deux bâtiments séparés l’un de l’autre par un jardin pour accueillir respectivement la collection et l’école d’art. Le bâtiment est inauguré à grand bruit le 15 novembre 1878 et il abrite aujourd’hui encore l’institut.
Mes compliments à Manet et sa famille, à Maitre, vous le voyez souvent sans doute.