Perspectivia
Lettre1866_02
Date1866-11-07
Lieu de créationDüsseldorf, Adlerstrasse chez Mr. Fabriz
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesBurnitz, Karl Peter
Achenbach, Andreas
Achenbach, Oswald
Courbet, Gustave
Manet, Edouard
Whistler, James Abbott MacNeill
Steinhardt, Karl-Friedrich
Lieux mentionnésParis
Francfort-sur-le-Main
Düsseldorf
Paris, Salon
Œuvres mentionnéesS Knabe mit Hund und Wildbret (garçon avec chien et gibier)
F Portrait de sa sœur Marie

Düsseldorf, Adlerstrasse chez Mr. Fabriz

7 nov[embre] [18]66

Mon cher Fantin,

Voilà six mois passés depuis que j’ai reçu votre dernière lettre et il y a presque quatre mois que je suis ici à Düsseldorf.Scholderer s’installe en août 1866 à Düsseldorf, Adlerstrasse 22. Il y séjourne jusqu’en avril 1868. Il y a bien des choses qui ont changé depuis ce temps, je suis devenu prussien et je suis consolé de mon sort, vous savez je ne suis pas grand politique et quoique je n’aime pas les Prussiens, je crois pourtant qu’il vaut encore mieux qu’ils ont gagné que si les Autrichiens et leurs alliés avaient gagné.Scholderer fait ici référence à la guerre entre la Prusse et l’Autriche qui a conduit à la bataille de Sadowa. Le 3 juilllet 1866, les Prussiens de Guillaume Ier y ont écrasé les Autrichiens de François-Joseph Ier. L’empereur François-Joseph Ier dissout alors la Confédération germanique et, l’année suivante, inaugure un nouvel État, l’Autriche-Hongrie. La Confédération germanique est remplacée le 15 décembre 1866 par une Confédération de l’Allemagne du Nord, avec vingt et un États sous la mainmise de la Prusse. Mais cela ne vous intéressera guère je crois, et moi je ne changerai pas avec le gouvernement nouveau.

Que dites-vous, de me savoir à Düsseldorf. Vous pleurerez des larmes de sang et vous avez raison, car jamais de ma vie, je n’ai été à un endroit plus abominable que cette grande fabrique de croûtes, car ce n’est que cela seul ; pas même un grand talent, excepté Achenbach,Il peut être ici question d’Andreas (1815-1907) ou d’Oswald (1827-1905) Achenbach, peintres allemands. Frères, le premier forme le second à l’art du paysage. Ils cherchent à se libérer des formules étroites du classicisme et jouent un rôle important dans l’évolution de la peinture de paysage allemand au XIXe siècle, notamment à travers l’enseignement dispensé par Oswald à l’académie de Düsseldorf. qui cependant ne peut pas être compris, quand on ne s’est pas intéressé au moins une fois dans sa vie à la peinture de Düsseldorf, c’est à dire qu’il n’a rien de ce que nous voulons, mais il est un homme plein de vie et de talent ; mais voilà le seul, point d’autre. Vous pouvez vous imaginer quelle position j’ai ici, car je n’ai personne qui me comprend, à Francfort au moins j’avais Burnitz, qui y est encore. Ce sont les ombres de ma vie ici. Maintenant ce qui me console, c’est que cette ville doit être une excellente place à vendre ses choses et d’après ce que je peux juger, c’est bien l’endroit le plus grand à cet égard dans toute l’Allemagne et j’espère d’en profiter quoique je ne suis pas peintre de sujet, ce que tous les peintres sont ici. Enfin, il fallait faire ce pas pour vivre et je suis toujours artiste et je le resterai. Je ne peux pas songer à Paris sans un grand sentiment de tristesse, mais peut-être je réussirai pourtant un jour pour pouvoir y vivre, c’est mon but continuel et le sera ; mais vous comprenez sans argent, on ne peut pas y aller.

J’ai fait des natures mortes dans le dernier temps et j’ai commencé quelques plus grands tableaux, l’un, un enfant avec des fruits et de verres sur la table, l’autre, un garçon dans la forêt avec un chien et du gibier tué (chevreuil etc.),Scholderer, Knabe mit Hund und Wildbret, B.59. je crois que le dernier sera bon ; j’ai un tas de sujets que je veux peindre, malheureusement, le travail ne va pas encore très vite, mais je suis devenu pourtant beaucoup plus sûr dans ma peinture, les noirceurs se perdent peu à peu, mais mon ton est toujours très foncé encore.

Votre description de l’exposition et des événements dans la vie artistique m’ont bien intéressé, mais je voudrais voir, voir, voir toutes ces choses et causer avec vous là-dessus, c’est terrible que je ne le peux pas, je ne peux plus écrire, aussi mon français me quitte tout à fait ! Il m’a fait pourtant grand plaisir que Courbet a fait de nouveau un effort ; ce que je voudrais voir ce serait les choses de Manet et surtout Whistler. Sur la femme au perroquet de Courbet, j’ai entendu le même jugement que le vôtre, tandis qu’on a beaucoup vanté son paysage.Courbet, La femme au perroquet, Fernier II 526, 1866, huile sur toile, 129 x 195 cm, New York, Metropolitan Museum of Art ; La remise de chevreuils au ruisseau de Plaisir-Fontaine, Doubs, Fernier II 552, 1866, huile sur toile, 174 x 209 cm, Paris, musée d’Orsay.

On m’a parlé aussi avec grand respect de votre étude de femmeFantin expose au Salon de 1866 un Portrait de femme, étude, détruit. Il est référencé dans le catalogue de Mme Fantin-Latour comme Portrait de sa sœur Marie, F.275. et m’on m’a dit qu’elle avait fait de l’effect généralement, avez-vous vendu le tableau. La vente sera été comme chez nous, la guerre a gâté tout. Cette lettre vous sera donnée par un jeune ami Mr. Steinhardt,Karl-Friedrich Steinhardt (1844- ?), peintre allemand, installé à Paris de 1866 à 1871. Scholderer partage son atelier avec lui lors de son séjour à Paris de 1868. Steinhardt appartient au groupe de musiciens, amis et compatriotes de Scholderer, qui se réunissent pour faire de la musique lors de soirées parisiennes où Fantin est convié. Il existe trois lettres de Steinhardt à Fantin conservées dans le fonds Custodia, collection Frits Lugt, 1997-A.836/837 et 838). qui est peintre et qui a la meilleure volonté du monde pour apprendre quelque chose à Paris et qui a le sentiment de la peinture et vous me ferez un grand plaisir, si vous vouliez lui donner quelques renseignements, soit de l’art en général à Paris et aussi de la vie, et lui donner votre conseil ; c’est un charmant garçon qui vous en sera bien reconnaissant pour tout ce que vous lui donnez ; nous avons travaillé ensemble dans le dernier temps que j’ai été à Francfort, et il vous parlera de moi plus que je suis capable en écrivant. Maintenant adieu mon cher Fantin, pardonnez-moi que je ne vous ai pas écrit plus tôt et écrivez-moi un mot et songez à cela, combien de plaisir une lettre de vous me fait et me fera toujours et surtout dans mon séjour triste à Düsseldorf. Adieu

Votre ami

O. Scholderer