Perspectivia
Lettre1883_03
Date1883-05-16
Lieu de créationParis
AuteurFantin-Latour, Henri
DestinataireScholderer, Otto
Personnes mentionnéesProust, Antonin
Monet, Claude
Zola, Émile
Duret, Théodore
Burty, Philippe
Edwards, Ruth
Manet, Edouard
Cazin, Jean Charles
Israël, Ferdinand
Scholderer, Viktor
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Lieux mentionnésLondres, Royal Academy of Arts
Paris, École nationale des beaux-arts
Œuvres mentionnéesS The Last Chord/ Verhallende Akkorde (le dernier accord)
F L'étude, pde, portrait de Sarah Budgett

[Paris]

16 mai 1883

Mon cher Scholderer,

J’ai été très content d’avoir de vos nouvelles et de savoir que vous vous portiez tous bien. Madame Edwards vous a sans doute donné des détails sur la triste fin de Manet.Édouard Manet est décédé le 30 avril 1883.

Depuis bien longtemps déjà il nous inquiétait. Cette paralysie augmentait. Ses dernières visites, chez nous, nous faisaient bien de la peine. Il est venu encore dans les premiers jours de janvier, appuyé sur le bras de son beau-frère. La tête était toujours la même pourtant. Il causait et était, comme vous l’avez connu, plein d’entrain. Je ne l’ai pas vu dans les derniers temps, sa porte était condamnée par les médecins et je n’ai jamais voulu le voir mourant.

Vous avez vu les obsèques magnifiques qu’on lui a faites.A l’enterrement de Manet, Fantin tient les cordons du poêle avec Antonin Proust, Claude Monet, Alfred Stevens, Émile Zola, Théodore Duret, Philippe Burty. Triste réparation pour toutes les injures qu’il avait reçues. Nous allons organiser une exposition de son œuvre, on a obtenu du gouvernement l’école des Beaux-Arts pour faire cette exposition. Il faudrait attendre le printemps prochain, car voilà le monde qui s’en va. Il faudra tâcher de la faire la plus complète qu’il sera possible, on verra alors le peintre qu’il a été !Le 5 janvier 1884, une rétrospective de l’œuvre de Manet est organisée à l’École des beaux-arts. Cent seize peintures, trente et un pastels, vingt cadres d’aquarelles et dessins et douze estampes sont présentés. Voir Exposition des œuvres de Édouard Manet, préf. d’Émile Zola, cat. exp., Paris, Ecole nationale des beaux-arts, 1884.

Madame E. m’a parlé avec éloges de votre tableau à l’AcademyScholderer, The Last Chord / Verhallende Akkorde, B.226. et du succès de votre atelier.

Vous pensez combien votre opinion sur mon tableauFantin-Latour, L’étude, F.1100. m’a été agréable et aussi que mes lithographies vous aient fait plaisir.

Vous me parlez de la jeune école qui se fait forte partout, d’une façon bien calme, moi je les exècre. Cela me paraît un tas de barbouilleurs et de plus intrigants !

En avons-nous ici de la peinture ! Notre salon ici me dégoûte.Les rapports entre les quatre-vingt-dix membres du comité de la Société des artistes français se tendent chaque année davantage, et aucune adaptation du Règlement ne parvient à résoudre les problèmes inhérents à la sélection des œuvres. Les œuvres sont toujours en trop grand nombre (4943 en 1883). Si l’on enlève des étrangers, Israëls par exemple, je ne vois pas grand-chose à vous en dire. Cazin a un très bon tableau et continue son succès ! Whistler a le portrait de sa mèreWhistler, Arrangement en gris et noir n° 1 ou La mère de l’artiste, 1871, huile sur toile, 144,3 x 162,5 cm, Paris, musée d’Orsay. que vous connaissez, je crois, il fait très bien ici. Il vient de montrer à une exposition internationale différentes choses, les anciennes me paraissent toujours les meilleures.

Ce que vous nous dites de Victor nous a bien amusés. Nous voudrions bien le voir. Ce doit être une grande joie pour vous deux de le voir grandir, mais cela doit être aussi une grande occupation. Nous espérons que vos santés continueront à être bonnes. Voilà les chaleurs qui viennent et nous trouvons que cela est bien fatigant. Je vous prie de dire bien des choses de notre part à madame, d’embrasser Victor pour nous deux. Écrivez, je vous prie. H. Fantin