Qu’il y a longtemps que je veux vous écrire, je suis si peu en train, j’ai si peu d’énergie en ce moment. Je ne suis plus malade et je suis en train de travailler. Et pourtant voilà le Salon.
J’ai deux toiles en train,Fantin-Latour, Nature morte : coin de table, F.671 et Portrait de Victoria Dubourg, F.647. mais sans goût pour les achever, j’attends d’être pressé pour les finir. L’une est une nature morte grande. C’est la même table et les mêmes objets que dans mon tableau du coin de table. L’autre c’est Mademoiselle Dubourg qui a l’obligeance de poser pour moi. J’ai une jolie pose pour elle, elle lit dans un fauteuil, dans un effet et avec des tons très jolis. Mais tout cela n’est que commencé, et pas dispos.
Et vous, que faites-vous, que pensez-vous, dites-le-moi. Je prends votre lettre pour y répondre.Voir lettre 1873_02.
Vous avez bien raison quand vous critiquez des fleurs que vous avez vues chez Deschamps.
Je suis entraîné vers le vif. Je sens bien que ce n’est pas cela. J’ai peur, dans une gamme claire et grise, de la fadeur et alors je sors trop du clair. Oh ! Que cela est difficile l’accord harmonieux.
J’ai revu les toiles de Whistler,En janvier 1873, Durand-Ruel expose dans sa galerie de la rue Laffitte à Paris sept peintures à l’huile de Whistler parmi lesquelles se trouvent Variations in Flesh Colour and Green : The Balcony, YMSM.56, 1865, huile sur bois, 61,4 x 48,8 cm, Washington, D. C., Freer Gallery of Art ; Arrangement in Grey : Portrait of the Painter, YMSM.122, 1872, huile sur toile, 74,9 x 53,3 cm, Detroit Institut of Arts ; Arrangement in Grey and Black : Portrait of the Painter’s Mother, YMSM.101, 1871, huile sur toile, 144,3 x 162,5 cm, Paris, Musée d’Orsay ; Views of the Thames, YMSM.138, huile sur toile, dimension et localisation inconnues. je suis resté toujours dans mon idée première et pour me comprendre, il faudrait que vous ayez vu les premiers tableaux de Whistler.
Mais la raison est que chacun va de son côté, chacun prend sa route et on ne se comprend plus. C’est une loi d’Art. Je suis tout chagrin de cela chaque jour. Je ne comprends plus. Je n’aime plus ce que je vois de mes camarades d’autrefois, et j’ai beau me le reprocher, je ne peux pas faire autrement. Je fais pourtant bien des efforts. Chacun suit sa nature.
Que devient Thoma, en avez-vous des nouvelles ; j’ai entendu dire que Madame Ritter était morte ! Je ne sais rien ici qui pourrait vous intéresser.
Manet va exposer un homme buvant de la bière dont je vous ai déjà parlé,Manet, Le bon bock, RW.186, 1873, huile sur toile, 94,6 x 83,3 cm, Philadelphie, Museum of Art. et Mademoiselle MorizotManet, Le repos, RW.158, 1869, huile sur toile, H. 1,48, L. 1,11, Providence, Rhode Island, School of design. Berthe Morisot (1841-1895), peintre française. Fantin rencontre Berthe Morisot et sa sœur Edma au Louvre en 1858 par l’intermédiaire de Félix Bracquemond. Les sœurs Morisot admirent le talent de copiste de Fantin. C’est Fantin qui présente Berthe Morisot à Manet au Louvre où ils copient tous les trois les maîtres anciens durant l’hiver 1868. Berthe Morisot épouse le frère d’Édouard Manet, Eugène, le 2 décembre 1874. Eugène est peintre lui aussi mais il passe sa vie à soutenir la carrière de son épouse et de son frère. en blanc, assise dans un canapé, que vous avez dû voir chez Deschamps.
Je n’entends rien dire du Salon, je ne vois du reste personne. Je ne quitte pas l’atelier si ce n’est le Louvre que j’aime toujours. Cela me rend indifférent à tout ce qui se fait autour de moi. Ma vente de tableauxMr Edwards achète une cinquantaine d’œuvres à Fantin en 1873. m’a permis d’acheter des gravures, des photographies d’après les Maîtres. Je vis avec cela heureux. Je ne cesse d’admirer et d’apprendre avec les Italiens, pour reporter tout cela d’après la nature.
J’ai fait les esquisses et les études pour un grand tableau dédié à Schumann.Ce projet, motivé par des festivités organisées à Bonn en l’honneur du compositeur au mois d’août 1873, n’aboutira pas. Mme Fantin-Latour mentionne trois études de ce grand tableau dédié à Schumann : une peinture tenant lieu d’esquisse à la lithographie H.5, A la mémoire de Robert Schumann, F.668 ; une peinture portant le même titre, traitant du même sujet mais dans le sens de la lithographie : A la mémoire de Robert Schumann, F.669 et la lithographie A la mémoire de Robert Schumann, H.5. C’est ses créations, ses femmes à son tombeau lui apportant des fleurs. Quand j’ai été malade tout a été arrêté et tout cela est resté là. Je n’ai pu m’y remettre, le temps et le goût m’ont manqué, cela m’a dégoûté, ce qui m’arrive dans tous mes projets d’imagination. J’ai quelques études d’après nature qui sont restées bien.Fantin doit ici faire référence aux études préparatoires recensées par Mme Fantin : Étude « Étude pour un tableau projeté en l’honneur de Schumann », F.667 ; Étude « Femme jetant des fleurs », F.666 ; Femme de dos « Étude pour un tableau projeté en hommage à Schumann », F.658. Il faut noter également l’existence dans les albums de dessins de nombreux croquis traitant de ce sujet, dès 1868 et d’autres sans date.
Donnez-moi de vos nouvelles je vous prie. Écrivez-moi sitôt que vous en aurez le temps. Cela me fera grand plaisir. Dites bien des choses à Madame. Manet m’a chargé de vous dire bien des choses de sa part, ainsi que Maître, Mademoiselle Dubourg me charge de vous dire qu’elle est très sensible à votre souvenir. Si vous voyez Whistler, dites-lui de ma part, que je ne sais comment lui expliquer mes impressions en voyant ses tableaux, que c’est lui qui devrait m’expliquer ce qu’il veut faire.