Perspectivia
Lettre1878_15
Date1878-11-06
Lieu de création8 Clarendon Road Putney
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesDubourg, Victoria
Edwards, Edwin
Edwards, Ruth
Mewburn, Francis
Durand-Ruel, Paul
Esch, Mlle
Eiser, Otto
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Delacroix, Eugène
Millet, Jean-François
Rousseau, Théodore
Barye, Antoine-Louis
Ricard, Louis Gustave
Troyon, Constant
Corot, Jean-Baptiste Camille
Courbet, Gustave
Daubigny, Charles-François
Diaz de la Pena, Narcisse
Huet, Paul
Tassaert, Octave
Lieux mentionnésParis, Exposition impressionniste, 2e exposition, galerie Durand-Ruel
Paris
Francfort-sur-le-Main
Heist (Région flamande)
Paris, Exposition rétrospective de tableaux et dessins des maîtres modernes, galerie Durand-Ruel (1878)
Paris, galerie Durand-Ruel
Londres, Dudley Gallery
Paris, Salon
Wakefield
Œuvres mentionnéesF La lecture
S Kopie eines Porträts von 1856 (sic) in Frankfurt (Henriette Flersheim mit Händen) (copie d'un portrait de 1856 de Francfort (Henriette Flersheim aux mains))
S Flämische Bauersfrau (paysanne flamande)
S Ein Eselreiter in den Dünen (garçon sur un âne dans les dunes)

8 Clarendon Road Putney

6 nov [18]78

Mon cher Fantin,

Merci bien pour votre bonne lettre que ma femme m’a envoyée à la campagne où j’ai fait mes portraits.Scholderer séjourne à Wakefield, au nord de l’Angleterre, dans le Yorkshire, pour exécuter des portraits de commande. Nous sommes bien heureux que vous écrivez que vous et Madame vont mieux maintenant, et je suis sûr que vous sentirez encore davantage le bien que votre séjour à la campagne vous a fait, car on s’en sent toujours quelque temps après. Votre maison et atelier sont en bon état maintenant j’espère, est-ce que votre propriétaire a bien fait arranger le dernier, car c’est important pour vous ?

Nous sommes également enchantés que les affaires vont bien, et j’espère que vous ayez vendu votre lecture très cher.Fantin-Latour, La lecture, F.824 a été vendue 150 £ à la 58th Exhibition of Works of Modern Artists de Manchester. Vous ne dites pas ce que sont les sujets des tableaux que Mme Edwards vous a achetés, sont-ce tous des fleurs ? Je reviens de la campagne et n’ai pas encore eu le temps d’aller chez elle, j’ai appris que le pauvre Edwards ne va pas bien du tout.

Vous avez raison de me plaindre d’avoir à faire des portraits, ce sont des difficultés de tout genre sous lesquelles je travaille, un Monsieur malade et violent dont j’ai à faire le portrait de ses deux filles sur un tableau et celui de son fils un officier en uniforme rouge. Les gens me sont très peu sympathiques, les séances se passent sans causer un mot, les dîners en cravate blanche et habit chaque jour, un endroit triste à la campagne. Heureusement un de mes amis a été tout le temps au même endroit, un homme très aimable et bon, celui qui m’a recommandé pour les portraits. Il s’intéresse beaucoup pour les artistes et a été, ici en Angleterre, celui qui s’est montré en véritable ami pour moi. Il s’intéresse beaucoup de vous et de vos tableaux, et a déjà fait beaucoup pour vous indirectement en parlant de vos œuvres et recommandant à ses amis d’en acheter, et il a beaucoup de connections. Il admire surtout vos fleurs. Sans avoir de l’argent, il a été très utile a un grand nombre d’artistes ici, il a seulement une grande faiblesse, c’est d’admirer trop de choses, cependant je ne dois pas m’en plaindre puisqu’il a tant fait pour moi. Je lui ai parlé de vos lithographies et je lui ai promis de vous en demander pour lui, dont il serait enchanté, si vous en avez encore à donner je vous en prierais bien de m’en réserver pour lui, elles seront bien placées chez lui. Il s’appelle F. Mewburn,Francis Mewburn est critique pour le Yorkshire Post. Ami de Scholderer, il séjourne également à Wakefield, lorsque le peintre y exécute des portraits en octobre 1878. Selon Scholderer, Mewburn porte un grand intérêt à l’art, bien qu’il lui reproche d’avoir un goût trop éclectique. Sans argent, Mewburn encourage les artistes en faisant leur publicité et en favorisant les achats dans les cercles qu’il fréquente. Il admire beaucoup l’œuvre de Fantin, particulièrement ses fleurs. Sur la sollicitation de Scholderer, Fantin lui envoie des lithographies dont Mewburn se réjouit. il connaît aussi les Edwards.

J’ai travaillé rudement à ces portraits, je fais une interruption d’un mois pour les finir au mois de décembre, mais le plus grand travail est fait. C’est bien rude, mais je pense toujours qu’il ne faut pas se plaindre de gagner six mille francs par une commission. Vous avez raison, l’ennui m’a fait travailler beaucoup et je me suis donné beaucoup de mal à ces portraits, les filles sont bien difficiles et pas trop gracieuses, l’endroit très sombre, la maison est entourée d’arbres tout cela augmente les difficultés. C’était bien triste aussi pour ma femme de rester seule – et l’argent doit compenser pour tout cela ! ? J’arrivais à Wakefield en bien mauvaise santé, peu à peu je me suis remis un peu, et maintenant cela va assez bien, pas trop, c’est toujours la digestion qui n’est pas bonne.

Notre projet pour Francfort n’est pas encore tout à fait mûr. J’ai à faire là-bas une copie d’un portrait,Bagdahn identifie cette œuvre de Scholderer comme étant Kopie eines Porträts von 1856 (sic) in Frankfurt (Henriette Flersheim mit Händen), B.175. On ne connaît cependant pas l’original de 1856. mais je trouve que j’ai voyagé trop cette année et on perd du temps, il faut travailler Perusquin ! Oui Paris est beau, comme nous désirions de venir chez vous, ce serait l’Eldorado – il y a toujours l’espoir !

Comme c’est triste que l’Expos. de Durand Ruel n’a pas eu de succès,En 1878, le jury de l’Exposition universelle met notamment à l’écart les œuvres de Delacroix, Millet, Rousseau, Decamps, Barye, Ricard, Troyon. En réponse à ce choix, Durand-Ruel organise du 15 juillet au 1er octobre 1878 une exposition de 380 tableaux intitulée Exposition rétrospective de tableaux et dessins de maîtres modernes. Il montre les œuvres de Barye, Chintreuil, Corot, Courbet, Daubigny, Decamps, Delacroix, Diaz, Fromentin, Paul Huet, Millet, Ricard, Rousseau, Tassaert, Troyon. Voir Archives de l’impressionnisme, éd. par Lionello Venturi, 1939, t. II, p. 208-209. mais on ne doit pas s’étonner de rien, cependant je suis certain que la renaissance de ces grands artistes du siècle reviendra en quelque temps, je me féliciterai toujours d’avoir vu cette exposition, c’était pour moi un grand et véritable plaisir comme je n’en avait eu depuis bien longtemps. Dites-moi, ce que vous faites, pas de nouvelles idées pour le Salon ? je suis bien curieux ; faites-vous des fleurs en ce moment ? Des esquisses, des lithographies ? Ma femme a reçu deux lettres de Mlle Esch et vous prie de lui en remercier de sa part, la nouvelle de la mort de leur amie l’a bien touchée, elle écrira un de ces jours à Mlle Esch.

Je n’ai pas encore écrit à Dr. Eiser, mais je lui écrirai ce que vous me chargez de lui dire.

J’ai vu le tableau de Rubens dont vous parlez, l’adoration des mages,Rubens, Adoration des Mages, 1624, huile sur toile, 447 x 336 cm, Anvers, musée royal des Beaux-Arts. quelle magnifique chose, je l’ai admiré beaucoup.

J’ai envoyé deux tableaux au Dudley Exhibition, la vieille femme que j’ai fait à HeystScholderer, Flämische Bauersfrau, B.172. et l’âne avec le garçon.Il doit s’agir du Eselreiter in den Dünen, B.163, plus propre à être exposé dans une galerie que ne l’est l’autre version ne présentant qu’une silhouette proche de l’esquisse. On ne veut rien du tout ici, on dit que les prospects ne sont pas mieux pour l’année prochaine, ainsi il faut être bien content si on a de quoi vivre.

Adieu, écrivez-moi, je vous prie, ce que vous faites, j’espère que vous et Madame sont en bonne santé. Bien des choses de ma femme à vous deux, et bien des compliments de ma part à Madame ainsi qu’à Mlle Esch. Votre ami

Otto Scholderer.