Lettre | 1865_03 |
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Date | 1865-02-14 |
Lieu de création | [Francfort-sur-le-Main] |
Auteur | Scholderer, Otto |
Destinataire | Fantin-Latour, Henri |
Personnes mentionnées | Courbet, Gustave Gerson, Bertha Hals, Frans Whistler, James Abbott MacNeill La Caze, Louis Rembrandt Müller, Victor Chardin, Jean-Baptiste Siméon |
Lieux mentionnés | Paris Paris, Musée du Louvre Paris, Salon Bruxelles, Exposition générale des Beaux-Arts |
Œuvres mentionnées | F Le toast et La vérité S Gemüseverkäuferin - Marché aux légumes/ Gemüsemarkt (marchande de légume) S Jäger und Hirsch (chasseur et cerf) |
Je ne veux pas tarder plus longtemps de répondre à votre lettre qui m’a fait bien plaisir et m’a bien intéressé. Je voudrais bien aussi vous parler et ne pas vous écrire, c’est difficile et plus on écrit, plus cela devient difficile, mais cela ne fait rien, nous sommes du même avis quant à l’art et notre chemin, il ne faudra que trouver réciproquement notre individualité qui montre à chacun le chemin vers la grande route de l’art.
Votre esquisse m’a donné bien à réfléchir,Fantin travaille sur deux projets dont il reste des esquisses (études pour « Le toast » et « La Vérité », F.2437). A cette date Fantin a décidé de réunir les sujets du Toast et de La Vérité en une seule composition intitulée Le toast ! Hommage à la Vérité. L’œuvre représentait autour d’une table Manet, Bracquemond, Vollon, Cordier et Whistler, les camarades habituels de Fantin. Le peintre lui-même montre à ses amis la figure de la Vérité et les engage à lui porter un toast. je trouve qu’elle est superbe à peindre, tous ces portraits en noir autour de la femme nue sont superbes à peindre, seulement, je ne suis pas d’accord avec le sujet, c’est à dire, que vous voulez faire de votre tableau un tableau de sujet en écrivant à lettres le nom de la vérité, quant à cela votre esquisse que vous m’avez envoyée l’autre jour m’a plu mieux, c’était plus clair comme sujet cela s’expliquait de soi-même, aussi le toast, l’autre esquisse, cela était clair. Maintenant je ne veux pas dire que la dernière esquisse (celle que vous venez m’envoyer) n’est pas aussi jolie à peindre que les autres, mais je vous dis franchement, je ne suis pas pour un sujet qui a besoin de l’explication, la peinture doit s’expliquer elle-même, maintenant quand vous voulez le peindre sans y mettre le nom de la vérité, je suis parfaitement de votre avis ; le catalogue ou le nom à lettres c’est la même chose à la fin. Pourquoi n’avez-vous pas fait un des deux autres esquisses, surtout l’autre définition de la vérité aurait fait un grand effet, était-ce plus long à faire ? Je trouve que tous ces hommes regardant la femme nue de sorte qu’on voit la dernière du dos s’expliquait très bien, on n’aurait pas eu besoin du moindre titre, moi, je suis pour les tableaux sans sujet dans le plus vaste sens, nous faisons déjà l’opposition dans notre manière de peindre, nous n’avons pas besoin de le montrer par le sujet, comprenez-moi bien, je ne veux pas dire que vous devez pas faire de tels sujets, seulement, votre sujet doit être avant tout un sujet bon à peindre et celui qui a le plus de cette qualité doit être préférable. Vous allez me dire que vous savez cela aussi bien que moi-même ; mais quant au service que vous voulez rendre à nous tous, je ne peux pas en juger si cela sera un en vérité, peut-être vous allez déjà un peu trop loin.
Le tableau est parfaitement bien arrangé je trouve, enfin cela peut-être superbe, ne vous laissez pas influencer par mes observations qui à la fin ne sont que celles que je fais pour les lettres d’or, j’espère cependant que vous allez exécuter aussi les deux autres idées plus tard.
Ce que vous écrivez de Courbet m’a bien intéressé, quel dommage que cet homme finit de cette manière, comme c’est triste, car je trouve toujours que c’est le plus grand talent que je connais, il est vrai il a peu d’intelligence pour l’art en général, mais d’autant plus sa nature, son individualité sont grandes, si grandes qu’elles nous ont bien dédommagés pour celui qui lui manque de goût et de science artistique et quand personne de nous savait ce qu’il faisait, ce qu’il était et que nous ne verrions que son Enterrement,Courbet, Un enterrement à Ornans, Fernier I n° 91, 1849-1850, huile sur toile, 315 x 668 cm, Paris, musée d’Orsay. il faudrait dire c’est un grand homme, il faut le regarder maintenant comme passé, mais il lui reste ce qu’il a été, il nous a montré le chemin, c’est lui seul qui nous l’a montré, les autres grands peintres de toutes les qualités qu’ils aient, n’ont pas eu une telle influence à notre art et Courbet prendra toujours la première place dans notre temps. C’est bien lui comme vous le décrivez, oui il a fait de grandes fautes dans sa vie, quel malheur, combien il aurait pu nous être utile encore ! Enfin on ne peut pas tout à fait le comparer avec les grands artistes du passé, leur tâche était ou de finir un chemin commencé par des individus d’un talent médiocre ou de trouver par leur génie un résumé de tout ce qu’ils avaient vu et ajouté cela à leur propre manière de faire un nouveau chemin, mais Courbet a renversé le passé par grand coup, il ne veut dans aucune manière se poser sur la tradition, il a étudié les Espagnols, oui, parce qu’ils lui semblaient propres à sa manière de voir la nature, la vérité, la nudité de la nature, voulait-il ; mais il est beaucoup plus naturel que les Espagnols et aussi grand peintre qu’eux tous ; mais il n’a ni la tranquillité, ni le style des Espagnols, aussi je trouve que les Français n’ont jamais eu un plus grand génie que lui.
Je serais curieux d’apprendre ce que vous dites de mon tableau qu’on vous enverra de Londres,Scholderer, Stilleben mit totem Reh, B.34. je crois qu’il est bien plus faible que ceux que je viens de faire, j’ai repris courage et j’ai l’espoir de pouvoir achever encore mon tableau avec le chasseur pour l’exposition.Scholderer, Jäger und Hirsch, B.48. Encore une chose que j’ai oubliée, ne croyez-vous pas que le portrait de Whistler dans votre tableau avec l’habit japonais sera un peu seul dans ce tableau,Dans la version finale du Toast ! Hommage à la Vérité, Whistler apparaissait en costume japonais, à côté de Manet, Bracquemond, Vollon, Cordier, tandis que Fantin-Latour leur montre la figure de la Vérité et les engage à lui porter un toast. Fantin allait finalement décider de détruire son œuvre à la suite du Salon. Les portraits de Whistler et Vollon seront cependant sauvés. peut-être tout en noir serait encore mieux, enfin je vous dis tout ce que je pense.
Maintenant quant à nos tableaux à envoyer, vous n’avez pas besoin de nous envoyer les papiers vous les écrirez vous même à Paris, c’est plus simple, je crois que vous savez tout ce qu’il faut écrire car comme étrangers nous n’avons pas besoin de nommer notre maître. En tout cas, nous les enverrons avec grande vitesse par notre commissionnaire et cela prend cinq à six jours tout au plus.
J’ai encore une prière à vous faire, je voudrais faire faire mon cadre à Paris pour mon dernier tableau, s’il peut-être achevé encore pour l’exposition, car j’épargnerai par cela une grande partie des frais du transport et aussi je crois que je l’aurai mieux fait à Paris et vous me rendrez encore un grand service en le commandant chez votre doreur, je voudrais l’avoir d’un profil fort, avec un ornement fort et simple, enfin vous savez le sujet du tableau et la grandeur vous le trouverez facilement ; le profil d’une largeur de vingt centimètres à peu près, pas moins, le cadre sera (c’est à dire ce qu’on verra du tableau) 197 centimètres de hauteur à 146 centim. de largeur et j’ajouterai au châssis à chaque côté deux centimètres qui seront cachés par le cadre, enfin le cadre peut-être le plus simple et que cela n’augmente pas le prix, vous pourrez me l’écrire si vous voulez, s’il sera très bon marché, j’ajouterai peut-être encore quelque chose à la largeur du profil, car vous verrez que pour un si grand tableau le profil n’est pas très large, enfin faites comme vous pensez, mais je crains bien de vous faire perdre votre temps si précieux maintenant, n’est-ce pas ? J’ai toujours l’espoir de venir encore pour l’exposition à Paris, mais je ne peux pas le dire pour sûr.
Alors vous avez vu la petite Gerson, c’est une fille pleine de talent et d’esprit, mais très jeune et ne sait rien de l’art encore, peut-être elle n’en saurait rien jamais ; c’est rare une femme artiste ! Vous parlez de Hals, nous avons deux portraits de lui dans notre galerie qui sont extrêmement bien faits, larges et libres, je l’aime beaucoup aussi.Frans Hals, Portrait d’un homme, 1638, huile sur bois, 94,5 x 70,5 cm ; Portrait de femme, 1638, huile sur toile, 94,5 x 70,2 cm, Francfort-sur-le-Main, Städtische Galerie im Städelschen Kunstinstitut. Je me rappelle d’avoir vu une tête de luiLa Caze possédait de Frans Hals : La Bohémienne, vers 1630, huile sur bois, H.0,58, L0,52, Paris, musée du Louvre et Portrait de femme âgée, vers 1650, huile sur toile, 108 x 80 cm, Paris, musée du Louvre. chez Mons. Lacaze qui m’a déjà dans ce temps frappé, mais je ne me rappelle que l’espèce de peinture de la tête ; ce n’est sans doute pas la même dont vous parlez, est-ce que le vieux Monsieur achète toujours des tableaux, oh, quelles heures charmantes nous avons passées dans cette galerie, combien je voudrais revoir le Rembrandt !Scholderer avait pu voir chez La Caze : Rembrandt, Jeune homme au bâton, 1651, huile sur toile, 83 x 66 cm, Paris, musée du Louvre et Bethsabée au bain, 1654, huile sur toile, 142 x 142 cm, Paris, musée du Louvre.
J’ai bien travaillé à mon tableau,Scholderer, Jäger und Hirsch, B.48. j’ai achevé maintenant les bras et la tête avec une manche de chemise et il me reste que le gilet et les jambes à faire, puis le fond qui est assez important ; mais j’ai bien du temps encore, je pourrai très bien l’achever encore, dans ma prochaine lettre, je vous donnerai dans une petite esquisse une idée du tableau, je n’en suis pas tout à fait content avec lui, mais à la fin cela ne sera pourtant pas mauvais.
Vous dites que l’exposition de cette année sera décisive, pourquoi croyez-vous cela, est-ce que vos gens se sont augmentés et est-ce qu’ils exposeront des choses importantes ? Ah oui, je voudrais bien voir l’exposition. Est-ce que vous allez envoyer quelque chose à Bruxelles cet été, Müller veut y envoyer six ou sept tableaux.Fantin n’envoie pas d’œuvre à l’exposition générale des Beaux-Arts de Bruxelles.
Vous avez raison, j’aime aussi la fraîcheur dans la peinture ; mais je ne pourrais pas faire une tête dans un après-midi, je crois que dans ma vie je ne le pourrais pas aussi, ma pâte est énorme, vous verrez cela à mon tableau avec les légumesScholderer, Gemüseverkäuferin, B.47. et pour cette peinture on a besoin de plus de temps car c’est plus difficile à manier. Comme je voudrais vous parler de toutes ces choses, c’est bien triste d’écrire, je crois que nous irons parler tout une journée du matin jusqu’à la nuit de la peinture et quel plaisir d’aller au Louvre ensemble, je crois que je verserai des larmes quand je reverrai le salon Carré ! Dites-moi quelque chose de Chardin, c’est vous qui m’avez montré le premier les beautés de l’art de ce peintre, c’est pour dire vr[aiment] […]Un rectangle a été découpé dans cette page et a supprimé des morceaux de phrases, nous avons dans la mesure du possible restitué les passages manquants. mon idéal, je voudrais être un art[iste comm]e lui, − dernièrement je me suis ache[té une mauv]aise lithographie d’après un de ses tab[leaux de] femme qui prend de l’eau dans une […] d’une sorte de tonneau en c[uivre c]ela doit être quelque chose de parei[l à des o]bjets de ménage, autour d’elle une porte ouverte par laquelle on voit encore des figures une autre femme et un enfant ; comme cela doit être bien !La lithographie d’après Chardin reproduit très vraisemblablement Une femme tirant de l’eau à une fontaine dit La fontaine ou La femme à la fontaine, huile sur bois, 38 x 43 cm, Stockholm, Nationalmuseum, ou l’autre version de cette œuvre, Une femme tirant de l’eau à une fontaine, huile sur toile, 50,5 x 43,5 cm, France, coll. part. Comme je voudrais voir ses natures mortes, vous rappelez-vous de la petite tableau avec le cuivre, comme c’est charmant !Scholderer doit probablement faire ici référence aux œuvres de Chardin représentant des ustensiles de cuivre qu’il avait vues dans la collection La Caze : Ustensiles de cuisine, chaudron, poêlon et œufs, huile sur toile, 17 x 21 cm, Paris, musée du Louvre ; La fontaine de cuivre, vers 1733, huile sur toile, 28,5 x 23 cm, Paris, musée du Louvre. Je crois que je comprendrai bien mieux maintenant cet artiste, j’ai une grande inclination pour lui, c’est mon penché.
Maintenant, Adieu mon cher Fantin, écrivez-moi bien vite, vous aurez attendu ma lettre déjà depuis quelques jours, je vous demande pardon, je suis un paresseux.