Correspondence Fantin-Latour & Scholderer

[Paris]

3 novembre 1876

Mon cher Scholderer

Voilà longtemps que je veux répondre à votre lettre, mais j’ai été et je suis très occupé. Je suis dans tous les apprêts de mon mariage qui aura lieu probablement dans 12 ou 15 jours. Pensez ce que j’ai à faire. Et pour moi, c’est bien de l’ouvrage. Je n’ai guère le savoir de toutes ces choses ; quelque [soit le] plaisir que j’aurais à vous voir ici, à cette époque je ne veux pas vous demander de venir à cette saison et puis quitter madame dans ce temps, tout cela est impossible je le sais très bien.

Vous ne sauriez croire combien cela me plaît de m’installer enfin chez moi.

Vous pensez que je n’ai aucun moment pour travailler mais combien cela sera délicieux de recommencer. Je fais bien des projets ; pendant l’attente des papiers et formalités, j’ai passé quelques jours à Fontainebleau où je me suis enthousiasmé pour le paysage.

J’espère que vous allez bien ainsi que Madame à qui je vous prie de dire bien des choses de ma part et de la part de Mademoiselle Dubourg.

Vous avez déjà (depuis votre rentrée) beaucoup travaillé. Que faites-vous en ce moment.

Ecrivez-moi cela bien longuement. Avez-vous vu Edwards, est-il bien rétabli, madame m’a dit qu’il a été très malade.

Vous avez bien dit dans votre appréciation sur Wagner que « c’est un homme qui a fait tout ce qu’il a su faire, qui a bien profité de ses qualités » !

Son énergie est prodigieuse. Au début des concerts,Il s’agit des Concerts populaires, fondés par en 1851 Jules Pasdeloup qui s’efforçait d’introduire dans son répertoire des compositeurs contemporains. C’est au concert Pasdeloup que Fantin, habitué des lieux, entendit Le vaisseau fantôme pour la première fois le 26 décembre 1864. Après des manifestations hostiles provoquées par le nom de Wagner, Pasdeloup cesse de le programmer de 1876 à 1879. on a voulu faire entendre des fragments de sa tétralogie. Alors la bêtise humaine et française s’est déchaînée, ça a été des cris, des sifflets inouïs, il est impossible de comprendre tant de rage ! J’ai assisté à cela et je dois dire que cela m’a paru encore plus beau. J’admire cela complètement, je trouve cela au-dessus de tout ce que je connais comme puissance et splendeur. Quand je vois l’effet que cela fait sur les autres, je n’ai que l’envie d’aller vivre tout seul, en dehors de tous les artistes, car je ne sens pas comme eux.

Vous m’avez fait grand plaisir en aimant les pieds-d’alouette,Fantin-Latour, Pieds-d’alouette, F.788. ces fleurs-là je les ai faites pour moi absolument. Ainsi que la Baigneuse,Il s’agit peut-être de Fantin-Latour, Baigneuse inquiète, F.2243 et Baigneuse debout, F.2245. on est bien content d’avoir une opinion comme la vôtre, car je n’avais pas d’idée là-dessus et cette baigneuse, je l’ai tant travaillée. Écrivez-moi bientôt, encore une lettre avant mon mariage je vous prie. Les affaires me paraissent aller mal à Londres. Dites-m’en quelque chose, car je ne sais rien du tout, Madame Edwards a-t-elle envoyé quelque chose de moi au Dudley, et vous ? Adieu

H. Fantin