Lettre | 1896_11 |
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Date | 1896-12-26 |
Lieu de création | Stafford House Littlehampton Sussex |
Auteur | Scholderer, Otto |
Destinataire | Fantin-Latour, Henri |
Personnes mentionnées | Scholderer, Luise Philippine Conradine Chardin, Jean-Baptiste Siméon Vélasquez, Diego Courbet, Gustave Dubourg, Victoria Scholderer, Viktor Poynter, Edward James Leighton, Frédérick Millais Etty, William Fantin-Latour, Marie Janovski, Sonia Edwards, Ruth Dubourg, Charlotte Orchardson, William Quiller Prinsep, Valentine Cameron Lawrence, Thomas Romney, George |
Lieux mentionnés | Londres, Royal Academy of Arts Paris, Musée du Louvre Kronberg im Taunus |
Œuvres mentionnées | F Baigneuses (3e grande planche) F Baigneuse S The Little Flowerseller/ Die kleine Blumenverkäuferin (la petite marchande de fleurs) S Hof eines Bauernhauses in Kronberg (cours d'une maison paysanne à Kronberg) |
Me voilà, comme à l’ordinaire, bien en retard de vous remercier pour toutes les bonnes choses que vous avez eu la bonté de m’envoyer. D’abord, pour votre bonne lettre qui nous a montré comme vous avez pensé à nous, elle nous a bien touchés et nous vous en remercions de tout notre cœur. Les photographies, que Madame nous envoie, nous ont fait grand plaisir, surtout celle avec son portrait me semble parfaite, les ciels aussi sont charmants et nous avons maintenant une bonne impression de votre maison de campagne, et l’imagination est supportée un peu par la réalité. Il me semble que la campagne vous doit faire beaucoup de bien, car l’été à Paris est bien fatigant et à un certain âge, on a besoin d’un repos que la campagne seule puisse donner.
Et maintenant bien merci pour vos belles lithographies qui m’ont fait le plus grand plaisir, elles sont de la plus grande liberté et simplicité d’exécution, et la composition des baigneuses est complète, cela doit faire un beau tableau que j’espère vous ferez un jour.En 1896, Fantin réalise deux planches différentes représentant des baigneuses : Baigneuses (moyenne planche), H.125 ; Baigneuses (3e grande planche), H.128. La sûreté avec laquelle vous avez fait la lithographie de l’aurore, cette figure charmante et simple me décourage bien d’essayer d’en faire aussi, cependant je veux faire un essai, et je vous remercie bien de l’envoi de papier végétal et de votre lettre qui me donne des directions. Je veux d’abord faire un dessin d’après un tableau que j’ai peint l’année passée, une petite fille vendeuse de fleursEn 1896, Scholderer avait exposé à la Royal Academy The Little Flowerseller/Die kleine Blumenverkäuferin, B.433. qui, me semble, se prête pour une lithographie, je sais bien que sans beaucoup de pratique, je ne ferai rien d’amusant.
Et maintenant je vous remercie bien des belles photographies du Louvre, et Madame de celle qu’elle a faits de mon étude de la cour de ferme à Cronberg ;Scholderer, Hof eines Bauernhauses in Kronberg, B.21. c’est devenu un sujet romantique pour moi. Je trouve que la photogr. est bien réussie et je préfère toujours celles qui sont luisantes, le papier mat ne montre pas tant de détails. La procureuseScholderer doit faire ici référence à l’œuvre de Chardin, La pourvoyeuse, 1739, huile sur toile, 47 x 38 cm, Paris, musée du Louvre. de Chardin m’a bien fait de plaisir, je pense toujours comme autrefois, que c’est un grand artiste et ce n’est pas seulement l’exécution délicate et spirituelle qui le fait grand, car ses idées sont tout à fait originales et il me semble naïves. L’infante de VelasquezDiego Vélasquez, L’infante Marie-Thérèse, future reine de France, vers 1653, huile sur toile, 70 x 48 cm, Paris, musée du Louvre. rend bien le tableau et le portrait de Courbet m’a fait grand plaisir aussi, il avait dans ce temps là encore le guide des vieux maîtres et c’est une belle peinture.
Vous voyez que nous sommes à Littlehampton, ma femme a besoin de repos qu’elle n’a pas trouvé à la maison, une servante malade lui a donné trop d’ouvrage, elle et Victor y resteront trois semaines, la durée des vacances de Victor, moi je retournerai à Londres bientôt, j’ai à achever un portrait et faire une copie d’un portrait. Je veux essayer de faire une nature morte ici, de faire quelques esquisses.
Qu’est-ce que vous dites de l’élection de Poynter comme président de l’Académie ?
C’est une chute après les deux derniers, mais il me semble que c’est encore le meilleur choix qu’on a pu faire, car les autres ne sont ni des gens bien élevés, ni grands artistes, OrchardsonWilliam Quiller Orchardson (1832-1910), peintre anglais d’origine écossaise. excepté peut-être, mais il paraît qu’il n’a pas voulu être président. On a parlé de PrinsepValentine Cameron Prinsep (1838-1904), peintre britannique. qui occupe une certaine position dans la société de Londres, mais ce n’est qu’un amateur après tout.
On va faire une Exposition des œuvres de Leighton au lieu d’une de vieux maîtres,Exhibition of Works by the late Lord Leighton of Stretton, Londres, Royal Academy of Arts, Winter Exhibition, 1897. cela va lui faire du tort, il me semble que le monde a déjà assez vu son art, on en voit partout. L’année prochaine, on va faire une exposition des tableaux de MillaisExhibition of Works by the late Sir J. E. Millais, Londres, Royal Academy of Arts, Winter Exhibition, 1898. et je crois qu’on ne se donnera pas beaucoup de mal avec le choix. Personne ne parle de lui et, comme vous dites, les Anglais ne semblent pas connaître leur plus grand artiste, on est encore jaloux de lui, qu’il a gagné tant d’argent, et puis les Anglais ont peu de jugement dans l’art et surtout pas d’enthousiasme, ce sont toujours des affaires d’argent. Je vois avec plaisir qu’on commence à déterrer Sir Thomas LawrenceThomas Lawrence (1769-1830), peintre anglais, portraitiste. En 1792 il est nommé peintre du roi et à vingt-cinq ans, il est élu membre de la Royal Academy, dont il devient président en 1820. et on dit qu’il va être le premier objet de la mode dans les expositions et ventes d’objet d’art. J’en suis bien content, on n’a pas pu dire assez de mal de lui il y a quelque temps, c’était le dernier des artistes, un maniériste, un rien, mais il paraît qu’on ne trouve pas beaucoup de ces génies modernes ou plutôt de notre temps avec lesquels on pourrait le remplacer. RomneyGeorge Romney (1734-1802), peintre anglais connu pour son œuvre de portraitiste. commence à baisser dans l’estime du public et c’est bien temps, on en avait énormément exagéré la valeur artistique et on le connaît trop. Etty n’a pas encore trouvé des admirateurs en Angleterre, on est trop chaste ici, cela durera encore une vingtaine d’années, quand on aura plus rien à vendre et on va trouver une raison pour l’admirer.
Je suis bien content de mon nouvel atelier, c’est une lumière qui me va mieux que toute autre que j’ai eue, c’est un jour combiné du côté et d’en haut, et je vois clair dans tout l’atelier, c’est aussi assez large. Je viens d’acheter un poêle qui se montre excellent et vient de Paris, on l’appelle Choubersky, vous le connaissez sans doute, il donne un feu perpétuel ce qui est bien agréable en bien des rapports.
Je suis assez content de la santé de ma femme, seulement il fallut qu’elle se donne plus de repos, le ménage surtout en hiver est encore trop compliqué pour elle, quoique notre maison n’est pas grande. Victor fait assez de progrès, mais on trouve à l’école qu’il ne travaille pas trop, son intérêt pour ses langues et toujours le grec est toujours très vif. Il devient très grand, il est plus grand que moi et a un très bon appétit. Je vous ai déjà demandé des nouvelles de votre sœur. Est-ce qu’elle se porte mieux maintenant, avez-vous vu votre nièceSonia Janovski. depuis que je l’avais vue à Paris, ses fils doivent être des hommes maintenant.
Nous avons appris de Mme Edwards que Mademoiselle Dubourg a continué à vivre à la rue de l’Université et nous pouvons bien nous imaginer combien elle doit aimer à y rester, entourée de tous les souvenirs de ses parents ! Mais vous la voyez sans doute souvent chez vous.
Je crains que vous trouviez ma lettre très longue, et je veux la terminer en vous envoyant, et aussi à Madame, nos meilleurs compliments et nos meilleurs souhaits pour la nouvelle année, et aussi à Mademoiselle Charlotte, Victor vous embrasse bien.